La filière laitière a eu très peur d’un effondrement des marchés. Le dévissage rapide et brutale des cotations des ingrédients beurre-poudre en plein pic de production saisonnier et la fermeture de la RHF aurait pu présager une dégradation notable du marché laitier et dans sa continuité une chute du prix du lait. Quelques mois après le confinement, force est de constater que le marché laitier a bien résisté jusqu’à présent aux tsunamis de la crise sanitaire.
Un équilibre de marché préservé
La dynamique des exportations à l’échelle mondiale s’est maintenue au niveau de 2019 dans les principaux pays producteurs, témoignant d’une demande soutenue en produits laitiers. La Chine reste le principal moteur du marché, notamment sur la matière grasse (beurre +47 %, poudre grasse +1% sur 7 mois de 2020), avec une croissance de leurs importations par rapport à l’année dernière. Ainsi la stabilité dans les échanges a permis de limiter le recours au stock d’intervention et une remontée rapide des cotations des produits industriels après la chute d’avril. Pour l’heure la valorisation beurre-poudre se stabilise un peu en deça de 2019.
L’autre fait marquant de cette période restera l’agilité dont on fait preuve les entreprises laitières de l’amont comme de l’aval pour d’une part maintenir la collecte et d’autre part réorienté leurs fabrications pour répondre à la demande des consommateurs. Ainsi le marché des PGC est resté dynamique, pendant le confinement boosté par les achats des ménages en lait liquide et en ultra frais . Même si les achats tendent depuis le déconfinement à se normaliser, il reste d’un bon niveau avec un retour en force des ventes de fromages qui ont retrouvé leur place dans les rayons à la coupe et les AOP qui ont pu surfer sur la demande touristique estivale.
Les équilibres de marchés semblent plutôt préservé pour l’heure, avec certes une baisse du prix du lait aux producteurs par rapport à 2019 mais qui reste contenu au regard du contexte. Malgré tout l’ombre de la récession économique mondial génèrent beaucoup d’incertitudes et de prudence sur les perspectives à venir.
Les opérateurs restent dans l’expectative
L’augmentation de l’offre laitière à l’échelle mondiale inquiète. Si la restriction des volumes a été l’un des fers de lance de l’interprofession dans la gestion de la crise, cette mesure est restée franco-française et le ralentissement de la production ne s’est observé qu’en France. Les autres pays européens ont globalement poursuivis leur dynamique de production. L’Europe, sur les 7 premiers mois de 2020 connait une croissance de volume de + 1,3 % , identique aux Etats-Unis. Même si les excédents restent mesurés, la demande se maintiendra-t-elle pour les absorber ? Rappelons ici, qu’en 2015 la crise du prix du lait avait été provoqué par un excédent de production de 7 Millions de tonnes, soit 1% de trop par rapport à la demande mondiale. Alors l’effet papillon se reproduira-t-il ? Les tendances de marchés pour les premiers mois de 2021 sont à ce jour très incertain.
Maitriser les volumes, la singularité française
La France se distingue de plus en plus des autres pays européens dans sa stratégie laitière. Réguler, maitriser les volumes de production reste un ancrage important, malgrès que l’on soit sorti des quotas. Ce fut le premier levier activer dans la gestion de la crise de la Covid et de manière plus structurante le choix de la contractualisation reste dans cet esprit là, avec des volumes de production figé sur le territoire national à 24 Millions de litres.
Le pari d’une France laitière conquérante d’un marché export fondée sur la maitrise des coûts a-t-il laissé place à une économie contractuelle, portée par les attributs qualitatifs du lait et le coût de production ? L’absence de stratégie des opérateurs basés sur le volume (tel l’Irlande ou les Pays-Bas), incitent à mieux valoriser les produits de qualités sur le marché intérieur. Ainsi les équilibres économiques des exploitations laitières françaises s’en remettent à une revalorisation du prix. Le coût de production tente de s’imposer dans les modalités de fixation du prix du lait, permettant ainsi de s’extraire (au moins en partie) des règles d’un marché libéral, mais reste encore faiblement contractualisé. Les démarches de segmentation, ambitionnent de reconquérir un marché PGC déjà mature, en s’appuyant sur des pratiques vertueuses avec à la clé une plus-value possible à partager à l’instar de la « success stories » du lait Bio (cf. article lait bio). Alors l’avenir sera-t-il de faire « Moins mais mieux » à l’échelle de la filière : moins de lait pour ajuster l’offre à la demande, mieux en intégrant les démarches RSE en phase avec les attentes des consommateurs d’une part et en réduisant les coûts d’autre part. Les politiques publiques, à travers le plan de relance, les Egalim semblent en tout cas vouloir accompagner cette direction.